[Article] « L’arbre sans fruit » de Aïcha Macky : Sans le fruit, le ver ronge les sangs

Lauréat de nombreux prix dont celui du meilleur documentaire décerné par l’African Movie Academy Awards de Lagos, “L’arbre sans fruit” est un long-métrage écrit et réalisé en 2016 par Aïcha Macky, jeune réalisatrice nigérienne qui, par ce premier film, laisse entrevoir une belle carrière. Ce film met en lumière les difficultés du quotidien de femme mariée et sans enfant, une situation commune à celle de nombreuses femmes mais qui est très mal acceptée dans un Niger contemporain empreint de gouvernance morale par les hommes et par la religion.

“Comment se placer en tant que femmes dans une société où on attend d’elles qu’elles deviennent mères ?” Le film s’amorce sur ce questionnement, porté par la voix off de Aïcha Macky. À travers une lettre à sa mère décédée en couche lorsqu’elle était enfant, elle s’adresse “à toutes les femmes”, celles à qui elle dédicace ce documentaire. En regard des problèmes liés à l’infertilité, une pointe d’indignation dans sa voix se fait sentir lorsqu’elle affirme “Devant ces injustices et ces maux je ne saurais me taire, chère Maman.”
Aïcha Macky parle et fait parler. Ses mots, c’est à travers les autres qu’elle les pose car son propos s’esquisse par les témoignages. Elle consulte les femmes qu’elle connaît, avec qui elle boit le thé, d’autres que ce film lui a donné l’occasion de rencontrer et qui lui confient leurs visions de cette situation, puis d’autres encore délient leurs langues sur une fréquence radio dont l’animateur semble quelque peu dépassé. Les dialogues qui se mettent en place relatent de nombreuses et rudes situations telles que la peur de l’arrivée des règles, la menace de la répudiation, le devoir de proposer au mari de prendre une seconde femme pour tester sa fertilité, ou encore les “qu’en-dira-t-on” comme autant de stigmatisations dues aux préceptes dictés par la religion et de conventions sociales moralisatrices.
“Quand je vois mes règles c’est un jour de deuil”
Avoir un enfant représente pour les femmes autant un moyen d’affirmation identitaire et sociale qu’une grande et simple joie de pouvoir donner la vie. C’est cette dualité dont Aïcha Macky rend compte par un subtil montage dans l’entre-deux. Les témoignages qui s’enchaînent, forts de leur pouvoirs discursifs et tendres dans leur sincérité affirment peu à peu le positionnement critique de la réalisatrice vis à vis des injustices liées à ce qui ne devrait être que simple allégresse.
Aïcha Macky, « L’arbre sans fruit », 2017, capture d’écran
La réalisation fait preuve d’une grande sérénité et illustre la sagesse de ces femmes face à la dureté de ces préceptes, sans toutefois aucune pointe de résignation. Les temps de silences, les jeux de regards, les lumières apaisées et les cadrages rapprochés dialoguent avec les sentiments et nous parlent par l’humanité. La réalisatrice illustre très bien la solitude des femmes face à ces épreuves en appuyant l’absence des hommes à l’écran. En effet, Aïcha est seule, et par l’invisibilité de son mari elle dénonce le fait qu’il s’agisse de problèmes qui ne “concernent” pas les hommes.
“Où sont les hommes Maman ? Sont ils indifférents à nos souffrances ?”
Par ce documentaire Aïcha Macky veut délier les langues, et elle y parvient. Dans un subtile mélange entre indulgence et mordant, elle dépeint les travers de sa société et les conventions sociales qui fatiguent le quotidien des femmes au Niger. Cette “intrusion dans le ventre des femmes” comme pourrait l’affirmer la politologue Françoise Vergès, fait partie de ces conventions malheureusement communes à de nombreux autres pays qui imposent un poids avec lequel les femmes doivent composer pour s’inscrire dans la société et ne pas s’attirer les foudres de leurs compatriotes.
Ainsi Aicha Macky arrive à rendre à ces questionnements leur caractère politique en proposant qu’ils deviennent aussi les nôtres, dans toutes leurs nuances, que l’on y soit ou non confronté et que l’on puisse ou non s’y projeter.
Mai 2017, article de Marynet J pour Cinéwax : www.facebook.com/notes/cinewax/2017-revue-cinewax-n7-larbre-sans-fruit/1319652354797551

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Créez un site ou un blog sur WordPress.com